Cinq ans

C’était il y a cinq ans aujourd’hui que j’étais convoqué à une entrevue déterminante pour mon avenir professionnel. Au mois de février 2007, j’en étais à ma troisième année comme chargé de cours à l’Université d’Ottawa. J’avais vu, sur le babillard électronique que je consultais régulièrement pour trouver un poste permanent, la description de poste suivante:

Instructor in History (Canadian)

Probationary Full-Time (Leading to Continuous Appointment)

The successful candidate will teach Introductory University-level courses in World History, as well as Senior courses in Canadian History and one other field (open). We are looking for a faculty member who can bring team-building skills and interdisciplinary interests and background to a BA program that has a strong commitment to excellence in undergraduate teaching. The successful candidate will have the challenge of contributing to the future direction of History offerings at Red Deer College.

Je n’avais en fait qu’une très vague idée où se trouvait Red Deer (Google Maps, qui existait déjà, me fut d’un grand secours) et encore moins ce qu’était la mission du collège. Je me suis donc plongé dans la lecture de leur site web (qui était légèrement plus facile à comprendre à l’époque qu’il ne l’est maintenant, même si le graphisme était moins léché; allez voir par vous-mêmes: maintenant et en février 2007). J’ai tenté de comprendre où se situait le programme d’histoire dans leurs «university transfer programmes», une chose que je n’avais jamais rencontré ailleurs. Mais ce qui m’a particulièrement accroché fut l’importance accordée aux activités d’enseignement. Comme tout universitaire, je suis passionné par la recherche, mais je le suis encore davantage par l’enseignement. Je me trouverais donc beaucoup plus à l’aise dans ce contexte collégial que dans celui d’une université de recherche.

J’ai donc contacté la directrice du département pour me renseigner sur le collège, sur les programmes d’enseignement, sur ce qui était attendu d’un candidat et aussi sur Red Deer. D’emblée, je lui ai demandé si le milieu était plus ouvert qu’on le pense hors de l’Alberta; autrement dit, si le fait d’être gai dans le Bible belt albertain allait mettre ma vie en danger. Elle a tenu à me rassurer, soulignant que Red Deer avait beaucoup gagné en diversité ces vingt dernières années. Bon. Je me suis dit que ça restait à vérifier, mais que ça valait tout de même l’essai… et j’ai donc envoyé une lettre de candidature, un CV ainsi qu’un dossier d’enseignement bien étoffé. En fait, au moment d’envoyer mon dossier, je voulais vraiment cet emploi.

Bon… ce dossier à Red Deer faisait partie d’un bloc d’envois que j’ai fait parvenir à diverses autres institutions à ce même moment. J’ai souvenir entre autres d’avoir envoyé un dossier de candidature à l’Université de Calgary en même temps, même si, connaissant la réputation de leur département d’histoire (où l’accent est surtout mis sur l’histoire militaire), je savais que j’avais peu de chances d’être convoqué en entrevue.

Puis surprise, le 5 avril 2007, alors que j’avais récemment appris que j’aurais une charge de cours pendant l’été à la fois à l’Université d’Ottawa et à Carleton (ouf!), je recevais un coup de téléphone me convoquant en entrevue par vidéoconférence pour Red Deer College. C’était ma troisième entrevue en autant d’années, après plus d’une trentaine de dossiers de candidature envoyés d’un océan à l’autre. À la suite d’une série de contretemps créés par la difficulté de rassembler le comité d’embauche pour l’entrevue, celle-ci fut finalement une entrevue téléphonique, car elle avait lieu à 15 h (à Red Deer), donc à 17 h à Ottawa et les services audio-visuels de l’Université étaient alors fermés. Pas moyen de trouver un temps convenant à la fois au comité et aux services de l’Université d’Ottawa. Aujourd’hui, on s’arrangerait par Skype. À l’époque, ce n’était pas encore commun. Et c’est parfois quelque peu problématique, comme j’ai pu le voir lorsque j’ai à mon tour siégé à des comités d’embauche.

J’ai donc passé mon entrevue dans mon bureau domestique, là, au téléphone, le vendredi 13 avril 2007. En passant, mon bureau de travail à la maison occupait le tiers de tout mon microscopule appartement. C’était, on dirait en anglais, cozy. Donc, l’entrevue téléphonique s’est bien déroulée, puisque le doyen me rappelait une semaine plus tard pour discuter puis me convoquer en entrevue «en personne» à Red Deer. C’était en partie parce que j’insistais pour voir sur place le collège et l’endroit avant de m’engager. C’est donc ainsi que j’ai abouti à Red Deer le vendredi 11 mai, pour une entrevue prévue à 8 h 15. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas particulièrement matinal, mais bon. Ça me donnait surtout la fin de semaine pour découvrir l’endroit et faire un peu de tourisme, notamment en prenant le chemin des Rocheuses le samedi.

L’entrevue avait en fait commencé informellement le vendredi après-midi. Puisque je m’étais pointé au collège «incognito» (yeah, right!) pour observer l’endroit pour me faire annoncer que j’étais attendu, si je le voulais, par l’autre prof d’histoire, dans un bar pas trop loin. Bon. Les bars, ce n’est vraiment pas mon truc, mais il fallait bien se plier à quelques règles élémentaires de sociabilité. J’ai rencontré quelques futurs collègues qui m’ont emmené prendre l’apéro, puis souper dans un autre établissement du centre-ville. J’ai limité ma consommation sachant qu’il me faudrait prendre le volant de l’auto de location pour rentrer à mon hôtel… mais ce fut quand même une fort agréable rencontre qui donnait espoir pour l’entrevue formelle du lundi.

On m’avait demandé, en vue de l’entrevue formelle, de préparer une présentation ayant pour thème les «deux solitudes» au Canada. Vaste thème s’il en est un (et potentiellement piégé), mais dont je me suis allègrement tiré en relisant attentivement l’œuvre de Hugh McLennan. Oui, c’est un roman, mais il n’est pas sans refléter certains aspects importants de la dualité linguistique et culturelle canadienne.

L’entrevue m’a laissé l’impression d’une formalité, mais tout ce voyage m’avait permis de me faire une idée de l’institution et de son milieu. Le processus et les conversations me confirmaient surtout que le collège était un endroit où je pouvais imaginer faire carrière et que, malgré un côté un peu rustre, je pourrais m’adapter à la ville où il se trouvait.

* * *

Cinq ans plus tard, quel est mon verdict? Le collège a livré promesse sauf pour un élément hors du contrôle de l’institution: on nous promettait que des programmes complets menant à des diplômes universitaires allaient être bientôt offerts au collège, mais le gouvernement provincial a, en 2008, imposé une classification des institutions d’enseignement postsecondaire empêchant ce développement, du moins à moyen terme. Ceci dit, je m’y plais énormément et j’y ai trouvé des défis à ma mesure. Notre plus grand défi présentement est d’attirer des étudiants aux cours d’histoire pour assurer la pérennité et le développement du programme. Pour ma part, j’ai aidé à réformer l’offre de cours, un processus qui se poursuit par la création de nouveaux cours pour septembre 2013. Personnellement, j’ai aussi à relever le défi d’être en charge de l’animation du comité de développement professionnel du collège; ce n’est pas une sinécure, croyez-moi. Et dire que je me suis porté volontaire pour cette tâche ingrate…

Hors du collège, mon emploi m’a amené à m’engager dans la communauté, menant à ma participation aux activités de l’ACFA régionale, puis provinciale. J’ai pu faire de la recherche à Edmonton et à Calgary. Je me suis engagé au sein du système de santé, ce qui m’a amené à Charlottetown il y a deux ans. Je suis aussi devenu membre du comité de préparation des fêtes du centenaire de l’incorporation de la ville de Red Deer (en 2013). Ce qui ne veut pas pour autant dire que je suis profondément attaché à ce lieu, même si j’y ai développé des amitiés qui seront probablement durables. De plusieurs manières, Red Deer me rappelle, comme en symétrie anglo-saxonne, ma ville d’origine: un brin de chauvinisme mêlé d’une vie culturelle quelque peu atrophiée (en fait, non; la vie culturelle à Joliette est beaucoup plus dynamique que celle de Red Deer), continuellement en train de se comparer aux plus grands centres… et surtout un milieu où tout le monde en vient à se connaître, ce qui a ses avantages et ses inconvénients. Red Deer ne figurerait pas au top-100 des villes où je veux vivre; le collège figure toutefois au top-10 des endroits où je voudrais travailler… On ne peut pas tout avoir!

Ce qui contribue à rendre la vie ici plus agréable est entre autre cette participation à une «communauté» plus large via ce blogue (créé, il ne faut pas se le cacher, par désir de briser une certaine solitude). Nul doute que si j’avais eu accès à internet en 1996-1997, mon annus horribilis à Québec-la-ville, la vie aurait été beaucoup plus tolérable. Et c’est aussi via ce moyen de communication qu’Oyaté et moi avons pu nous rencontrer. Il y a déjà trois ans.

23 commentaires sur “Cinq ans

  1. Il y aurait tant à dire et pourtant, je reste sans voix. Des évènements qui s’enchaînent parfaitement à lire l’article et qui pourtant ont du être une succession de présents faits d’incertitudes et de questionnements. J’allais dire, tout va bien qui finit bien, mais en fait, je corrigerai la formule en disant plutôt tout va bien qui continue bien.

  2. happy anniversary 🙂 Ta conclusion est un peu la mienne, comme je vais fêter mes trois ans à ATPN. Et vive les blogs 😀

  3. En lisant ce Blog et celui de Dr.Caso, je découvre un monde différent de celui dans lequel je vis. Un monde avec un climat différent (au sens propre et figuré), des mentalités différentes, un système de santé, un système éducatifs différents. Un monde plus dur. Mais ce qui me fascine le plus, c’est le multilinguisme. Ça me paraît tellement difficile de parler *une* langue que je me demande comment on peut en pratiquer plusieurs sans devenir fou. Bien sûr, je parviens à écrire des articles scientifiques en anglais (en devenant fou), mais il me faut parfois une demi-heure pour pondre une phrase et la passer au crible de nombreuses vérifications (recherche sur Google des différentes expressions afin d’analyser les contextes dans lesquels ils sont utilisés), et j’ai l’impression de ne plus avoir de marge de progression. Quand à *parler* anglais, même pas en rêve…

  4. Krn, évidemment, la réalité vécue est beaucoup plus vaste et complexe que ce court article… mais j’aime ta conclusion.
    Dr. CaSo, tu es bien placée pour comprendre.
    Olivier, je n’arrive pas vraiment à comprendre d’où te vient que la vie au Canada est plus «dure» que ne l’est celle en France. Tu peux m’expliquer ce que tu entends par là?
    Quant aux différences linguistiques et surtout au multilinguisme, c’est effectivement une nécessité dans bien des endroits. Toutefois, l’Amérique du Nord est l’un des continents les plus farouchement unilingues au monde… ce qui entraîne beaucoup de tensions entre groupes majoritaires (surtout anglophones) et diverses minorités dans certaines circonstances. Cependant, le multilinguisme est un atout qui permet d’ouvrir bien des horizons…

  5. Pourquoi j’ai l’impression que la vie au Canada est plus dure qu’en France ?
    Le climat qui, pendant de très long mois, rend tout déplacement plus difficile, plus contraignant et plus dangereux, et qui augmente le coût de la vie.
    Le temps de travail. J’ai l’impression que vous êtes obligés de travailler tout le temps de manière intensive et avec peu de vacances. J’aime mon travail, mais je le considère avant tout comme un gagne pain et pour moi la « vrai vie » c’est la vie en dehors du travail. Le temps libre est à mes yeux ce qu’il y a de plus précieux dans la vie.
    La protection sociale. En Alberta, tout salarié a t-il droit à des indemnités de chômage, à une nouvelle formation gratuite en cas de perte d’emploi ?
    La progression sociale et professionnelle, l’égalité de chances. Le système d’études payantes et très chères doit interdire l’accès à l’enseignement supérieur à une partie de la population, ou en tout cas ne permettre cet accès qu’au prix d’un très lourd endettement associé à un très gros risque en cas d’échec.
    La couverture et la prise en charge médicale. Si, un soir, je me sens vraiment mal, j’appelle SOS médecin. Le médecin qui arrive, évalue la situation, et appelle une ambulance si mon état justifie une hospitalisation d’urgence, sinon il me prescrit les médicaments nécessaires, et tout ceci gratuitement. Si je fais une grave dépression nerveuse qui m’empêche de travailler pendant un an, je suis pris en charge durant cette période, en touchant presque l’intégralité de mon salaire, et je retrouve ensuite mon emploi. C’est vrai qu’en tant que fonctionnaire je suis un peu mieux protégé que la moyenne des gens à ce niveau, mais même les salariés du privé ont de bonnes protections. Ce sont les artisans et agriculteurs qui sont les moins bien lotis, avec des caisses privées qui les laissent parfois tomber au moment où ils en ont besoin.
    Quand au multilinguisme, je suis parfaitement convaincu de son utilité, et il me laisse plutôt admiratif. Mais je me demande si tous le monde est vraiment capable de parler deux langues et si cette contrainte ne constitue pas une source de difficulté supplémentaire de la vie dans vos contrées.

  6. Je crois que la différence n’est pas si grande entre le Canada et la France, Olivier. Il y a par contre, en France, un décalage énorme entre les gens. J’ai relu deux fois ton commentaire pour voir dans quel pays on pouvait avoir ce genre de sécurité et je suis tombée des nues en relisant « France ». Je suis artisan en Normandie. Quand on a un grave problème de santé, même en plein jour, aucun médecin n’accepte de se déplacer. En arrivant à l’hôpital, il faut montrer tous ses papiers, à jour, avant de recevoir le moindre soin et il n’est pas rare de voir des patients renvoyés à la borne de la sécurité sociale à 500m des urgences pour actualiser une carte, y compris en cas d’accident du travail. Pendant les 5 années qui viennent de s’écouler, j’ai prié pour que Rosine Bachelot ou Nicolas Sarkozy aient un grave accident dans le coin et dépendent uniquement des moyens locaux. Ce n’est hélas pas arrivé. 1 médecin pour 1000 habitants dans notre département contre 1 pour 440 habitants en région parisienne. Ici, ce n’est pas le climat qui rend les déplacements difficiles, ce sont les moyens de transports. Dans l’Eure, deux lignes de trains, Paris-Caen-Cherbourg, avec un arrêt à Evreux, et Paris-Rouen-Le Havre qui dessert la seule gare de Val de Reuil. Les bus ? Morte de rire… Si tu n’as pas le permis et un moyen de transport personnel, tu n’as pas la possibilité de travailler. J’étais rassurée pour les Canadiens, je pensais que eux, habitaient un pays socialement développé et civilisé.

  7. Olivier, je saisis mieux ce que tu entends. Permets-moi, toutefois, de souligner qu’il s’agit là de différences qui ont surtout trait à la culture dans laquelle on grandit. Oui, le climat canadien est rigoureux pendant quelques mois… on s’y fait ou encore on choisit d’en profiter. Les sports d’hiver ont leur charme aussi, même si je trouve assez difficile de les pratiquer là où je vis présentement à cause des aléas constants de la température hivernale.
    Quant à la place qu’occupe le travail dans nos vies, il est vrai que pour les Canadiens autant que pour les Étatsuniens, le travail a une valeur très forte.dans nos cultures. Est-ce à dire que nous travaillons constamment sans loisir? Pas nécessairement. J’ai eu la chance de pouvoir obtenir une formation qui m’a amené à exercer une profession que je pratiquerais par loisir si ce n’était des onéreuses corrections et réunions. Le loisir, c’est bien, mais beaucoup moins valorisant que le travail… du moins dans le système de valeurs dans lequel j’ai grandi et que j’ai assimilé.
    Quant aux services sociaux et de santé, je pense qu’ils sont assez semblables si on considère le portrait global. Ils sont meilleurs pour les gens vivant dans les grands centres et qui jouissent d’une certaine prééminence professionnelle, moins accessibles aussitôt qu’on vit en région. Les médecins ne se déplacent pas à domicile, mais il est quand même assez facile de se rendre en clinique. Bon. À savoir combien de temps on attendra en clinique pour recevoir des soins (gratuits la plupart du temps), c’est autre chose. Je ne crois pas, cependant, qu’un système est nécessairement «meilleur» que l’autre; c’est une question d’habitudes de vie.Je serais tout aussi déboussolé si j’avais à faire appel aux services de santé en France que si tu avais à faire appel aux services de santé canadiens. Nous avons aussi une couverture sociale pour les accidentés du travail, les personnes au chômage et autres. Est-elle parfaite? Non. Les caisses de retraite se portent-elles mieux qu’en France? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que le même genre d’arguments fallacieux a été évoqué ici pour hausser l’âge minimal d’accès aux caisses de retraites étatiques de 65 à 67 ans d’ici dix ans.
    Krn, ce même genre de dichotomie rurale / urbaine et riche / pauvre existe ici aussi. C’était d’ailleurs l’un des sujets de discussion les plus courants au conseil consultatif en santé auquel j’ai participé pendant un peu plus d’un an (un autre étant les soins aux personnes âgées). Il est évident que l’accès aux soins en général et aux soins de spécialistes en particulier est plus facile en milieu urbain… même si les temps d’attentes aux urgences et en clinique y sont plus longs. Quant aux transports en commun, ils sont anémiques en Alberta, mais ils sont passablement meilleurs dans les grandes zones urbaines comme Toronto, Montréal ou Vancouver.

  8. Mon dieu, et dire que j’aurais pu rater cette amorce de débat si mon cher et tendre ne m’en avait pas parlée.
    Alors, parlons peu mais parlons bien, avec ma franchise habituelle, je suis en profond désaccord avec Olivier, qui ne décrit pas la situation d’un francais lambda, mais d’un FONCTIONNAIRE Francais lambda. heureusement qu’il a lui-meme précisé son statut car sans cela je serais juste tombée des nues.
    Cette fois ci tout s’explique pour moi.

    Je pense que le clivage majeur entre la facon de penser à mon gout malheureusement typiquement Francaise d’Olivier (vive la protection sociale « gratuite », et surtout on en travaille pas trop pck bouhou le travail c’est pas la vie, et ceux qui travaillent beaucoup ont vraiment une vie difficile), et celle que l’on trouve ici au Canada (en tous cas ici dans l’ouest) est parfaitement résumée dans cette phrase de Doréus « Le loisir, c’est bien, mais beaucoup moins valorisant que le travail… du moins dans le système de valeurs dans lequel j’ai grandi et que j’ai assimilé. »
    Je me reconnais également dans ce système de valeur, qui est celui dans lequel j’ai grandi, et qui me paraissait tristement si minoritaire en France.

    C’est en partie ce qui m’a poussée à quitter la France pour l’ouest canadien, sans regret, car ici, je me sens chez moi et confortable dans un système de valeurs qui est enfin en accord avec le mien sur l’aspect effort, travail et accomplissement personnel par le travail.

    Bien que mon point de vue exprimé ici soit probablement assez violent -et je m’en excuse d’avance- je suis toujours profondément choquée de voir à quel point les Francais opposent toujours travail et accomplissement personnel, comme si l’un était incompatible avec l’autre. Olivier, vous dites que votre travail n’est qu’un « gagne-pain », quel tristesse !
    J’ai un mari, un bébé, des amis, une vie personnelle que j’adore, mais pour moi ma vie professionnelle est un accomplissement incroyable qui me rend heureuse et fière, et me donne envie d’y consacrer de longues heures, sans que cela ne me rende la vie plus dure.

    Quant au climat canadien…. disons juste que ne plus supporter les incessantes grèves injustifiées en France que j’ai vécu pendant les 24 dernières années vaut LARGEMENT le coup d’un hiver parfois rude mais surtout long.

  9. Très bel article qui me rappelle encore une fois que tout arrive pour une raison, même si cette raison ne nous apparait pas clairement tout de suite.

    Concernant la comparaison France/Canada, il est impossible de dire qu’un pays vaut mieux qu’un autre. L’un attirera plus les uns, l’autre, les autres…! Cela ne tient en fait qu’au type de personne et à sa faculté de trouver du bonheur dans un système ou dans l’autre.

    Nous avons quitté la France pour des raisons évidentes dont beaucoup de français se plaignent car pour nous, c’était beaucoup plus insupportable que pour la moyenne des gens qui s’en accommodent.
    Nous allons faire notre route au Canada en nous confrontant désormais aux aberrations (pour un français) purement canadiennes en ayant conscience que les « plus » pèsent plus pour nous que les « moins » dans la balance…

    C’est une question de balance !

  10. Marine et Alex, merci de vos interventions. Il s’agit effectivement d’une différence culturelle… mais arriverez-vous à vous faire à la nourriture infecte qu’on trouve ici? Bon. On se fera des bonnes bouffes, promis!

  11. Bonjour Marine.

    Je ne pense pas que tous ces gens qui travaillent dans les usines et les supermarchés s’accomplissent par le travail. Au contraire, il sont exploités jusqu’à la rupture par un système productiviste qui les considère simplement comme des ressources renouvelables, ils sont humiliés, rabaissés en permanence, il sont moralement et parfois physiquement détruits peu à peu par une activité professionnelle trop souvent inhumaine. Dans certains cas, ce qui fait tenir ces gens, c’est l’attente de la retraite, un peu comme des otages qui attendent leur libération, et aussi bien sûr leur moment de détente en dehors du travail. Ce qui est d’ailleurs révélateur à cet égard, c’est qu’on appelle plus ces gens qui travaillent des êtres humains, mais des ressources humaines. Je crois que oui, beaucoup de Français sont malades du travail. Ils le vivent comme un calvaire. Cette réalité, j’y suis confronté au quotidien par les témoignages de beaucoup de mes proches qui vivent très mal leurs activité professionnelle.
    Mais ce n’est pas mon cas. J’ai un travail gratifiant et intéressant, mais qui reste toutefois artificiel. Je différencie l’activité professionnelle et la « vrai vie », celle où on est proche de la nature et où on peut faire les choses à son rythme. Prendre simplement le temps de respirer, de faire les choses sans être dans une course effrénée à la production est précieux. Mais je crois, que ce qui est typiquement Français, c’est d’opposer travail et loisir, en donnant en plus à ce mot loisir une connotation péjorative.
    Il y a des tas de choses que j’aimerais faire et que mon activité professionnelle ne me permet pas de faire en raison du temps et de l’énergie qu’elle me prend : écrire un roman, étudier la psychologie, la sociologie et l’économie, m’investir dans la sauvegardes des variétés anciennes de fruits, développer des applications informatiques plus ergonomiques, concevoir des appareils électroniques plus simples à utiliser que ceux vendus dans le commerce, apprendre à dessiner, créer des livres et des expositions de photographies etc. Le temps en dehors du travail n’est pas forcément synonyme d’oisiveté, il peut être consacré à des activités constructives qui enrichissent les personnes et la société.

    Amicalement,

    Olivier

  12. Beau résumé, qui m’aide à cibler un peu mieux ton parcours; et moi aussi dans quelques semaines je vais franchir le cap des 5 ans… au Québec. J’espère avoir l’occasion un jour de me rendre dans l’Ouest.

  13. J’ai du mal à retrouver les bons produits qu’on trouvait en 2009… Ou du moins, pour l’instant !
    Une fois bien reposé, je suis sur que la force sera de nouveau avec moi, et je réussirai à faire des vrais repas à chaque repas… Car pour l’instant, je perds du poids, comme en 2009 ou j’avais perdu 7 kg en 2 mois, le temps d’habituer mon estomac à la bouffe calgarienne…

    J’y pense, il y a pas mal de lièvre dans le coin, je vais lâcher les 2 poilus pour nous ramener le diner de ce soir…

  14. Olivier, il ne faut pas oublier que le travail que certains considèrent aliénant (comme le travail manuel, par exemple) ne l’est pas nécessairement pour ceux qui le pratiquent. En général, c’est moins la nature du travail que les conditions dans lesquelles il est exercé qui sont abrutissantes. J’en prends pour exemple mon père, ouvrier d’usine pendant 37 ans. Il adorait son métier et les défis que lui posait au quotidien la réparation de machinerie lourde. Il était créatif et tirait une grande fierté de son rôle. Cependant, il détestait l’endroit où il travaillait, qu’il considérait comme une «prison». Il faut faire attention de ne pas grouper des classes professionnelles et les juger parce que leur travail nous apparaît dur. J’ai la chance, personnellement, d’exercer une profession que j’adore; ce n’est pas donné à tout le monde.
    En ce qui concerne les activités hors du travail, bien entendu elles sont importantes. Ce qui me surprend, c’est que tu dis que ton travail t’empêche de t’y adonner… Là, c’est une question de choix personnel. Évidemment, on ne peut pas tout faire et il faut aussi gagner sa vie, mais on ne peut pas blâmer le travail. Je pense que c’est le fond de la critique de Marine.
    Beah, au plaisir de t’y voir! Nous serons pour notre part à Montréal dans deux semaines… pour un trop court séjour.
    Alex, je suis certain que le voisinage apprécierait la chasse au lièvre…

  15. Olivier,

    Le débat pourrait etre sans fin tant je bondis à lire que les ouvriers ou les employés de supermarché en France travaillent et vivent essentiellement dans des conditions inhumaines….

    Voila tout de meme la définition du mot inhumain donnée par le Larousse :
    « Qui ne semble pas appartenir à la nature ou à l’espèce humaine et qui est perçu comme atroce, monstrueux : Le caractère inhumain d’un crime.
    Qui semble au-dessus des forces humaines : Tâche inhumaine.
    Qui est sans pitié, sans générosité : Un traitement inhumain. »

    Bien , maintenant, j’aimerais tout de meme que l’on ne tombe pas dans les caricatures , ou qu’on m’explique en quoi un employé de supermarché, meme peu reconnu et valorisé, qui bosse 35h par semaine soit en caisse, soit à soulever des colis parfois bien lourds, et qui malgré la fatigue de son job (qui n’en a pas !!!!) est protégé, surtout en France, par moultes inspections du travail, médecins du travail trop heureux de gaver les gens d’arret maladie à tout va, lois et conventions collectives en tous genres, comment cette personne pourrait-elle bosser dans des conditions que l’on pourrait honnetement décrire comme inhumaine ????
    Allons !

    Je suis d’accord sur un point avec vous, les francais sont malades du travail. Mais pas malades à cause du travail comme vous semblez le dire, mais malades tout simplement DU travail. Du fait de devoir parfois ou souvent se « lever l’ame » comme dit ma mère. De faire des efforts. De ne pas toujours etre récompensé pour. De parfois jeter l’éponge et recommencer tout à zéro en reprenant une formation ou une carrière sans estimer que parce que l’on a telle qualification , on est trop bien pour cela.
    Cette attitude Francaise, je la trouve misérabiliste, nombriliste, c’est le constant bureau des plaintes et des lamentations. Ah c’est sur, si vous dites à un Francais qu’après une licence en droit et un master d’ecole de commerce, vous prenez un job dans un call centre et qu’encore vous en etes super heureux car vous voyez là plein d’opportunités d’apprendre, de grimper, de vous intégrer, d’etre confrontés à des situations difficiles et de vous en sortir mieux chaque fois, oui, ce Francais vous répondra « oh mon dieu mais tu vas te faire ex-ploi-té !!!!! »

    Pour moi il ne s’agit absolument pas de cela.

    Il y a toujours eu, et il y aura toujours des « petits jobs » et des « ponts d’or », il y aura toujours des parachutes dorés pour les grands dirigeants, et des rentiers qui gagnent plus d’argent qu’ils n’en peuvent dépenser chaque jour, il y aura toujours des petits chefs mesquins qui exploiteront leur parcelle de pouvoir et harcèleront leurs subordonnés, il y a toujours des gens qui adoreront leurs jobs, et d’autres qui le détesteront
    Mais cela, ca a toujours existé partout, et cela continuera à exister.

    La différence que je vois entre mon nouveau pays, et mon pays d’origine, est que dans mon nouveau pays, on voit le verre à moitié plein plutot qu’à moitié vide, on ne s’apitoie que rarement sur son sort, et quand quelque chose ne vous convient pas, vous vous démenez pour en changer.
    Il est bien rare de voir ce comportement en France malheureusement. Les gens manquent d’ambition, d’énergie et de confiance en l’avenir, et ca, ce n’est certainement pas la faute de l’état et des grands méchants patrons.
    Ceux là ont bien sur des responsabilités, mais pas là-dessus. (pas à mon sens en tous cas)

    Nous sommes tous adultes. Alors que chacun se bouge un peu et arrete d’espérer qu’on vienne lui tenir la main pour lui montrer la route à prendre et l’acclamer à chaque réussite !

    Enfin je concluerai en disant qu’il n’est pas besoin d’avoir un poste de cadre supérieur superbement payé avec des responsabilités florissantes pour avoir un sens de l’accomplissement personnel. Si je suis retenue pour ce call centre comme cela semble etre le cas, laissez-moi vous dire que diplomes ou pas diplomes et responsabilités ou pas, je saute de joie, car je suis heureuse de cette nouvelle expérience et j’essaierai d’etre la meilleure à mon job.
    Franchement, ca n’est pas typiquement Francais comme réaction, vous devez bien vous en rendre compte !!!!

  16. Évidemment, je ne me pronnoce pas sur la situation française, que je ne connais que très vaguement…

  17. Je comprends parfaitement ce que dit Marine, et, bien que française, je crois que l’on peut s’épanouir dans n’importe quel job si on le prend à cœur. Lorsque j’étais à l’école d’architecture, je ne savais pas encore que j’allais être gérante d’un magasin de produits surgelés, opératrice de saisie ou transporteur routier. Ce sont des métiers que j’ai appris plus tard et qui n’avaient rien à voir avec les études que j’avais faites, mais le marché de l’emploi étant ce qu’il est, je n’ai pas rechigné. J’ai fait tout ça avec conscience, cherchant avant tout à faire les choses le mieux possible. On peut même dire que je me suis « éclatée » au volant de mon camion et que j’ai passé ces dix années avec à l’esprit que j’avais juste à transporter de la marchandise d’un lieu de vacances à un autre. Rien à voir avec mon métier de départ. Mais je ne suis pas frustrée. J’ai eu l’occasion de travailler en architecture sur des projets prestigieux comme le parc des Princes à Paris ou le stade olympique de Montréal et c’était très bien. Et comme il faut de tout pour faire un monde, je me suis à présent recyclée dans la fiscalité des entreprises. Et pour tous ces autres métiers, j’ai suivi des cours (non rémunérés et payants) et obtenu les diplômes correspondants, le tout avec énormément de plaisir. Ceci dit, je ne sais pas si j’ai réellement la mentalité 100% française. 🙂

  18. Eh ben, la prochaine fois qu’on me demandera ce que j’entends par une conception « dure » de la vie, je metterai un lien sur ce commentaire lol. Je trouve ce discours violent. On dirait un prèche religieux. Ceci dit, il m’arrive aussi d’être violent lorsque je défends des convictions. En tout cas, je revendique le droit de travailler pour vivre et de ne pas vivre pour travailler et d’être quand même respecté. Quand je me brosse les dents, je fais quelque chose de bien, mais ce n’est pas une fin en soit, ce n’est pas un but dans la vie. C’est aussi ma conception de l’activité professionnelle. Elle est nécessaire pour gagner sa croute et contribuer à au fonctionnement de la société, mais ce n’est pas nécessairement une raison de vivre, une finalité en soit, et comme de toute chose, il faut le faire bien mais il ne faut pas en abuser.

    En parlant du supermarché, je connais quelqu’un qui pendant 20 ans a mis des bouteilles de boisson en rayon. Chaque jour, il répétait les mêmes gestes, comme un automate. Aucune nécessité de réfléchir, d’innover, d’inventer, d’être créatif d’aucune façon, juste un geste à répéter des dizaines de milliers de fois par jour, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, toute l’année. Une de ses mains est tellement usée qu’elle est irrémédiablement lésée. Les médecins pensent qu’il n’en retrouvera jamais l’usage complet. Sacrée accomplissement personnel. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Quand aux caissières, je connais bien les problèmes qu’elles rencontrent. Il y en a plusieurs dans ma famille. Les journées d’une durée théorique de 7h mais en pratique de 11h parceque saussisonnées par des pauses imposées de plusieurs heures pendant lesquelles on a pas les moyens de rentrer à la maison parce qu’on habite loin. La méchanceté, le mépris et l’agressivité des clients et parfois des chefs qui exigent toujours plus de rendement. Les responsables qui vous culpabilisent parce que vous avez un problème de santé, et qui contestent même les avis médicaux. D’une manière générale l’humiliation et le manque de respect.

  19. Je serai également violente dans ma réponse : les personnes que vous connaissez qui ont passé l’essentiel de leur vie dans des jobs si destructeurs, tels que vous les décrivez, n’avaient qu’à en changer ! certes ils n’avaient peut etre pas la possibilité de reprendre des études, ou de devenir des cadres superbement payés, mais il y a foule de jobs avec peu de qualifications quand on n’est pas heureux là où l’on travaille (que cela soit légitime ou non d’ailleurs).
    la crise n’a pas toujours été là, et je trouve cela trop facile de tout le temps regarder en ailleurs après une vie de travail d’automate/ou dans des conditions difficiles/ou pas reconnu, en disant « quelle vie professionnelle de merde j’ai eu ».

    non.

    ici, je ne crois pas que ce comportement soit si courant qu’en France.

    « Elle est nécessaire pour gagner sa croute et contribuer à au fonctionnement de la société, mais ce n’est pas nécessairement une raison de vivre, une finalité en soit, et comme de toute chose, il faut le faire bien mais il ne faut pas en abuser »
    wow. quelle conception vous avez du travail et de la vie professionnelle. à nouveau comme quelque chose qui bien que vous aimiez profondément votre métier, pourrait devenir un obstacle à votre accomplissement si vous en faisiez un poil trop.
    Bref, c’est une différence de vision vraiment trop fondamentale pour qu’elle soit réconciliable, mais tous vos propos me permettent de confirmer encore si besoin était, les raisons du malaise que j’ai toujours ressenti dans mon pays.

    @krn : effectivement, vous ne semblez vraiment pas avoir une mentalité typiquement francaise !! 🙂 voila quelqu’un qui croque la vie à pleines dents, s’adapte à la réalité de ce qui se présente et essaie pour autant toujours d’en tirer partie et d’y trouver son compte.

    @Doreus tu as tout à fait bien compris ma pensée sur le rejet que j’ai de cette opposition accomplissement perso / travail. l’un n’est pas un obstacle de principe à l’autre, ni vice versa. et blamer le travail -surtout celui dans lequel on est resté x années pour x raisons toutes plus ou moins vaseuses et à mon sens prétextes plus que raisons légitimes- me parait aberrant.

  20. Marine,

    Je n’aurai pas le temps de prolonger la discussion en cette période d’examens, et de copies à corriger, mais je voudrais apporter quelques précisions.

    Tout d’abord, je suis enseignant-chercheur, je contribue à former des étudiants de niveau licence et master en informatique, et la notion de conscience professionnelle fait partie de mes valeurs de référence. J’ai la chance de faire un métier intéressant et stimulant. Je considère la réussite de mes étudiants comme une priorité absolue, au point de sacrifier parfois une partie de mon travail de recherche, donc mes chances de promotion, pour mettre en place des pratiques pédagogiques innovantes et optimiser l’efficacité de mes enseignements (suivi et coaching individuel des étudiants, tests de compétences réguliers, travaux pratiques et travaux dirigés à la carte, supports de cours attractifs… ). C’est vrai que je préférerais travailler moins, pour pouvoir faire un enseignement encore plus efficace et avoir le temps de m’investir dans d’autres activités, mais ce que je fais, je le fais à fond. Quand vous dites « votre métier, pourrait devenir un obstacle à votre accomplissement si vous en faisiez un poil trop », vous faites une interprétation abusive et inamicale des mes propos.

    Deuxièmement, il ne faut pas confondre amour du travail et conscience professionnelle. Il y a des gens qui aiment leur travail et n’ont pas une très grande conscience professionnelle, il y en a d’autres qui n’aiment pas du tout leur travail et font montre d’une conscience professionnelle exemplaire (je pense en particulier à mon père qui travaillait dans un hôpital psychiatrique), et il y a qui aiment leur travail et le font bien. Les deux concepts sont indépendants, et si on peut reprocher à quelqu’un son manque de conscience professionnelle, il n’y a aucune raison de lui reprocher de ne pas aimer son travail et de ne le faire que par nécessité. On est obligé de travailler, mais on est tout de même pas obligé d’aimer ça. Je respecte les gens qui sont fous de travail, qui ne vivent que pour le travail, mais je respecte tout autant les autres. Tout le monde n’a pas les même valeurs, heureusement. Les gens qui ont des valeurs radicalement différentes des nôtres apportent de la diversité à société, nous poussent à réfléchir à des points de vue différents.

    Troisièmement, votre proposition de changer de travail lorsqu’on se trouve en situation difficile à soutenir sur le long terme est très pertinente. Dans le principe, c’est une bonne idée. Mais en pratique ce n’est pas aussi facile à dire qu’à faire. En France, il y a un emploi vacant pour 14 chômeurs. Lorsqu’on a un emploi stable, on hésite à en changer. C’est vrai que si personne n’avait d’emploi stable, si par exemple la notion de contrat à durée déterminée n’existait pas, ce serait différent. Je ne sais pas si ce principe serait meilleur ou moins bon que le système actuel.

    Quatrièmement, je ne sais pas s’il existe une mentalité typiquement Française. Au regard de la diversité des opinions en France, l’idée me parait un peu réductrice, mais en tout cas je ne suis pas représentatif en la matière. Par exemple, je pense que ce serait bien que tous les français en âge de travailler soient fonctionnaires un jour par semaine et travaillent dans le privé le reste du temps. Je ne pense pas qu’une majorité de mes concitoyens, et en particulier les autres fonctionnaires, partagent une telle idée. Je pense aussi, entre autres originalités, que la croissance ne doit pas être une finalité mais le moyen d’arriver à un équilibre et que le niveau de vie correspondant à un tel équilibre est déjà dépassé en France. En d’autre termes, on devrait considérer que la phase de croissance est terminée et que conserver notre niveau de vie actuel est déjà un challenge. J’ai d’autres idées bien plus originales qui sortent du cadre de cette discussion.

    Cinquièmement, même si je ne me suis jamais trouvé personnellement dans une telle situation, je pense que la souffrance au travail existe et représente un vrai problème qu’il faut combattre et non accepter ou minimiser, ne serait-ce que par respect des gens concernés.

  21. Je ne vais pas ajouter à la polémique, mais je refuse catégoriquement de faire une journée de fonctionnaire par semaine !

  22. Je ne sais trop quoi ajouter ici… curieux débat, d’ailleurs, lancé sur la compréhension d’un mot. Il est évident que le travail est une des activités humaines qui mène aux abus les plus graves; en même temps, il peut être source d’intense satisfaction et réalisation de soi. Il me semble potentiellement présomptueux de généraliser à partir de certaines observations. Il faudrait ici faire tout un ensemble de nuances concernant, oui, d’une part, le pays où l’on travaille et sa situation économique générale, mais aussi les types d’emploi, l’âge des personnes (il est plus facile de changer d’emploi, par exemple, quand on est au début de sa carrière que lorsqu’on atteint la cinquantaine et qu’on devient moins «valorisé» sur le marché de l’emploi, par exemple).
    J’ai fait ma thèse sur la situation des personnes sourdes à travers l’histoire… et il y a là toutes sortes d’enseignements face à la situation des personnes en statut minoritaire ou qui sont caractérisées selon leur capacité présumée à effectuer un travail.
    Aussi, nos perceptions concernant la place qu’occupe le travail dans nos vies sont influencées par un ensemble de facteurs qui tiennent à nos origines, à nos convictions personnelles et aux préceptes idéologiques qui informent nos jugements. Je ne crois pas qu’il y ait de point de vue plus ou moins valable dans l’absolu, mais un ensemble de pratiques différentes qui ont évidemmetn des conséquences variables sur la situation sociale, culturelle, politique et économique d’un pays.
    Il y aurait là non seulement un sujet d’article, mais un sujet de blogue entier…
    Quant à être fonctionnaire une journée par semaine, tout dépend de l’emploi… Oyaté et moi sommes techniquement fonctionnaires (c’est à dire des employés de l’État; lui dans le domaine de la santé, moi de l’éducation). Porter nos souliers à l’un comme à l’autre est fort différent… et aussi très différent de l’image d’Épinal du fonctionnaire rond-de-cuir qui remplit des formulaires à longueur de journée… Cependant, la différence entre le fonctionnariat et le travail dans le domaine privé est évidemment son objectif: service au public versus participation à la production ou à la distribution de biens ou de services dans un système reposant sur le principe du profit. Est-ce que c’est que tu suggères, Olivier, en proposant que chaque citoyen devrait être fonctionnaire un jour par semaine: retourner quelque chose à l’État dans le sens de participation à la communauté? Il y a bien d’autres moyens de le faire…
    Parfois je voudrais que mes collègues qui oublient un peu la situation très privilégiée qui est la nôtre (sécurité d’emploi presque bétonnée, supervision minimale, exigences de rendement somme toutes assez vagues, avec en contrepartie des semaines de travail qui oscillent typiquement entre 60 et 80 heures par semaine) travaillent un peu dans le privé pour subir la pression réelle du travail lorsqu’il est destiné à la production. J’ai aussi travaillé dans le milieu agricole et industriel…

  23. Doreus, le jour où les fonctionnaires Francais feront 60 à 80h / semaine, ca se saura ! En France, à titre d’exemple, le temps de travail obligatoire d’un prof de collège ou lycée est de 18h par semaine.
    Evidemment, cela tient compte de la nécessité théorique de préparer ses cours, corriger ses copies, rencontrer les étudiants, les parents, etc etc
    Mais pour avoir fait toute ma scolarité dans le public à l’exception de 2 années en école de commerce, je n’ai jamais rencontré un prof qui faisait beaucoup plus que son temps de présence obligatoire, et quand on constatait l’état de vide désespérant de nos copies après correction , on pouvait voir la preuve que ca ne leur avait pas occupé beaucoup de temps.

    Donc le statut de fonctionnaire est probablement sécurisé et assez privilégié au Canada également, mais je doute qu’il le soit au meme point qu’en France.

    Doreus , toujours : il parait evident qu’il est plus facile de changer de jobs à 20 ans qu’à 50, je suis complètement d’accord, mais je fais référence à l’habitude selon moi toute Francaise que meme les personnes à faible risque de ne pas retrouver restent dans le meme job, et s’en plaignent encore 10 ans apres.

    @Olivier « En France, il y a un emploi vacant pour 14 chômeurs. Lorsqu’on a un emploi stable, on hésite à en changer.  » je parlais pourtant bien d’une période autre que ces dernières années de crises dans lesquelles il parait bien sur évident que nous sommes TOUS plus prudents dans nos changements de jobs car nous ne savons pas de quoi demain sera fait ou meme si nous retrouverons. Mais ce comportement Francais d’inquiétude monstrueuse devant l’avenir (nous nous placons quand meme derrière les Irakiens si ma mémoire est bonne ?????) et de cold feet ne datent pas d’hier, et donc le fait de dire aujourd’hui « lorsqu’on a un emploi stable on hésite à en changer », c’est valable depuis la grosse crise de 2009, mais qu’en est-il des 10, 20 ans avant cela ?

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