La tourtière, façon maman

tourtieres-cuites

Précisons d’entrée de jeu que je ne suis pas originaire du Lac-Saint-Jean ni de la région de Québec, où ce que j’appelle une «tourtière» sera immanquablement appelé un «pâté à la viande», car la «tourtière» du Lac (et souvent de Québec aussi) ressemble davantage à un «cipaille». C’est bon aussi. Je n’ai cure de l’étiquette que vous donnerez à cette recette: pour moi, il s’agit d’une tourtière. Et c’est bon. Je me fous également de ce que, l’an dernier, le quotidien Le Devoir a consacré comme «plat national» du Québec le pâté chinois, cette version modifiée d’un plat d’origine irlandaise (le shepherd’s pie). La tourtière, dans toutes ses variations, surpasse de loin ce lointain cousin du gratin parmentier comme plat national des Canadiens-français. En passant, le nom «tourtière» vient du fait que ce mets était préparé dans une «tourte», un plat en grès servant à préparer les pâtés, et non pas du fait qu’il aurait contenu de la tourte, l’oiseau maintenant disparu qui abondait dans l’est de l’Amérique du Nord avant le dix-neuvième siècle.

Pour moi, ce pâté en croûte fait partie de tout menu des Fêtes qui se respecte, accompagnant la dinde farcie, la sauce aux canneberges et les pommes de terre en purée. De plus, la recette est d’une simplicité enfantine. Je la tiens de ma mère qui la tient de je ne sais où; je ne me suis permis que quelques ajouts: les oignons et la sarriette (et parfois d’autres aromates, selon l’inspiration du moment).

Pour la faire, on a besoin de:

  • Pâte à tarte (à votre choix; j’ai pris une recette de base expliquée plus bas)
  • Quantités égales de porc et de bœuf hachés maigres (1 livre (500 g) de viande pour chaque tourtière)
  • Beurre (pour le goût)
  • Oignon haché fin (au goût)
  • Sauce Worcestershire* (1 c à table (15 ml) par ½ livre de viande environ — au goût, quoi!)
  • Sel et poivre, sarriette
  • Pommes de terres pilées (compter une pomme de terre moyenne par tourtière) à ajouter en fin de cuisson [optionnel]

D’abord, faire blondir à feu moyen l’oignon finement haché (un demi-oignon moyen dans ce cas) dans une bonne quantité de beurre, plus qu’il n’en faut pour les seuls oignons. Ne pas laisser brunir.

oignons

Ajouter la viande. J’en avais assez pour huit tourtières, donc une bonne quantité (environ 4 kilos). Exceptionnellement, ici, il ne s’agit pas tant de faire brunir que de faire bouillir la viande dans son propre jus. On utilise donc une grande marmite que l’on couvre une fois la viande ajoutée. Ajouter, la sarriette et le poivre, mais ne pas saler avant que la viande soit cuite. Ajouter la sauce Worcerstershire à mi-cuisson. Touiller régulièrement jusqu’à cuisson complète.

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Lorsque la viande est prête, saler légèrement (la sauce Worcestershire contient du sel) et ajuster l’assaisonnement. On peut alors avantageusement dégraisser et enlever le surplus de jus et ajouter des pommes de terre pilées, ce qui permet à la viande de mieux se tenir et conserve les saveurs. Laisser reposer pendant la préparation des tartes. On peut aussi préparer la viande, la réfrigérer, puis reprendre le processus le lendemain, si nécessaire. Ce fut mon cas cette année; il faut alors réchauffer un peu la viande afin de pouvoir l’égoutter au moment de mettre dans les pâtés.

Je sais. Mon rouleau à pâte aurait fait l'envie de
Je sais. Mon rouleau à pâte de format industriel aurait fait l’envie de Manda Parent quand elle accueillait Olivier Guimond fin saoul, brandissant son rouleau à pâte: «Belle heure pour arriver! On t’attendait pus!»

Pour la pâte à tarte:

  • 2 tasses (500 ml) farine
  • 2/3 tasse (160 ml)  shortening
  • 1¼ c à thé (6 ml) sel
  • 3-4 c à table (45-60 ml) eau froide

Préchauffer le four à 400° F (200° C). Pour réussir la pâte, il faut garder les ingrédients le plus froids possibles et travailler la pâte le moins possible. Tamiser ensemble la farine et le sel. Défaire le shortening dans le mélange avec un coupe-pâte jusqu’à ce qu’il soit à peu près de la grosseur de petits pois. Ajouter l’eau glacée une cuillère à la fois, en mêlant jusqu’à ce que la pâte commence à prendre. N’ajouter que l’eau nécessaire (trop d’eau fait durcir la pâte). Façonner une boule informe (en fait, deux pour cette quantité) et faire reposer au moins 15 minutes au réfrigérateur. Rouler sur une surface légèrement enfarinée.

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Préparer une abaisse que l’on remplit de viande, égouttant le surplus de jus et de gras, mais pas trop. Idéalement, ne pas faire une tarte «bombée» (comme ça), parce que le gras risque de couler un peu partout. De plus, contrairement à une tarte aux fruits… c’est un peu lourd. Remplir jusqu’au bord, puis recouvrir d’une autre abaisse, que l’on perfore pour laisser la vapeur s’échapper. Badigeonner de blanc d’œuf si on veut un fini plus doré.

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Cuire au milieu du four selon les instructions de la pâte (ici, 35 minutes environ). Comme je sais que mes tourtières seront probablement réchauffées au four avant d’être servies, je les fais généralement très légèrement moins cuire… afin qu’elles ne soient pas brûlées au moment de servir! Ces pâtés se congèlent à merveille et se conservent environs six mois au congélateur.

Pour le plaisir, j’ai réalisé une version sacrilège, au bacon. C’était la dernière tourtière, donc j’ai fait cuire la moitié d’un paquet de bacon (donc ½ livre ou 250 g) puis j’ai ajouté le bacon et son jus à ce qui restait du mélange de viande au fond de la marmite. Après avoir bien brassé, j’ai farci la dernière tourte:

tourtiere-avec-baconSur la photo à l’en-tête de l’article, la tourtière au bacon est celle de gauche. Je n’ai pas encore goûté… j’attends le retour des autres fous du bacon (ils sont tous partis dans l’est du pays pour visiter leur famille) avant de la partager avec eux et vous faire part de mon verdict.

* Pour mémoire, Worcestershire se prononce «Wüstershire» avec l’accent tonique sur la première syllabe et en ne prononçant presque pas le premier «R».

14 commentaires sur “La tourtière, façon maman

  1. Pour y avoir goûter, la chose est fort bonne, mais est-ce que ce serait un gros sacrilège de rajouter de l’ail et d’autres assaisonnements que la sarriette? Aussi, il me semble que certainEs font cuire leur viande dans un genre de bouillon… As-tu déjà entendu parler de cela? Si oui, qu’en penses-tu? Et que penser de ceux qui ajoutent de l’agneau ou du veau dans leur concoction?

  2. Je ne doute pas que ces ajouts pourraient être intéressants… mais ce ne serait plus la tourtière de ma mère. Je voulais faire un essai d’une version «albertaine» bison-autre chose cette année, mais je n’ai pas encore eu le temps de le faire… Cette recette existe sous une multiplicité de variations… un peu comme la fondue au fromage, quoi!

  3. J’aurais pu dire «la tourtière de ma mère», mais celle-là, c’est celle que fait ma mère, et je ne pourrai pas y goûter cette année. Cependant, j’ai eu droit à un compliment (en quelque sorte) lorsque, à mes premiers essais de tourtières, j’ai pu la passer à mon père qui n’y a vu que du feu jusqu’à ce qu’on lui dise que j’avais préparé les tourtières cette année-là. C’était avant que je m’amuse à modifier la recette.

  4. Difficile à dire… Les jours où je travaille, entre une demi-heure et une heure. Quand je fais des tourtières… une bonne demi-journée!

    Cuisiner est thérapeutique pour moi. C’est une activité créatrice autant qu’un changement de rythme. Ça me reconnecte à la fois avec mon côté de travailleur manuel tout en requérant l’usage de mon esprit.

    La table est pour moi un espace sacré. J’y suis seul la plupart du temps, mais ça devient une véritable fête lorsque j’ai des invités.

  5. Je suis assez admirative. Etant une femme, je devrais prendre du plaisir à cuisiner. Or, je ne le fais pas vraiment pour moi, mais par contre, pour faire plaisir à ceux que j’aime, je peux passer des heures à cuisiner quelque chose de particulier.

    En cuisine, j’aime essayer. Et lorsque je vais à l’étranger, je choisis toujours quelque chose que je ne connais pas (avec parfois des surprises…)

    Seule et occupée, il m’arrive d’oublier de manger. Parfois, je lève le nez au bureau en me disant que j’ai un peu faim et je vois qu’il est 16 h 30 alors je fais un thé chaud et je replonge.
    Il suffit que je rentre trop tard et le repas du soir saute aussi, non parce que je n’ai pas faim mais parce que je suis trop fatiguée pour me lancer dans la cuisine.

    je pense que je devrais avoir une vie plus régulière et me considérer comme invitée chez moi.

  6. Deux événements dans ma vie m’ont forcé à prendre la cuisine au sérieux… puis je me suis tout simplement mis à aimer ça!

    Le premier événement fut un évanouissement lors de la cérémonie d’assermentation comme page en 1991. Je venais de quitter le domicile familial et j’oubliais un peu la routine des repas… J’ai eu un épisode de basse pression sanguine et je suis tombé dans les pommes juste après avoir prêté serment à Sa Majesté… Donc, depuis ce temps-là, j’évite de trop désobéir aux besoins nutritionnels de mon corps, ce qui ne veut pas nécessairement dire que je mange toujours à la même heure chaque jour.

    L’autre fut le départ pour vivre seul en appartement, après avoir vécu deux ans d’une belle cohabitation. Je me retrouvais à Québec et pour la première fois dans ma vie je me suis senti vraiment seul au monde… pour tenir le moral, j’ai juré que chaque repas serait une fête. Bon. Il y a des jours où l’énergie n’est pas nécessairement là, et c’est pour cela que je m’arrange toujours pour avoir ce qu’il faut pour préparer un repas rapide. Je tiens toutefois à un principe: pas de bouffe achetée préparée dans mon congélateur. Cela déroutait parfois mon ancien conjoint, qui trouvait que ces petits plats étaient «bien pratiques». Quant à moi, manger des agents de conservation et du sel… on passera. À défaut d’autre chose, je me fais des pâtes (j’en fais aussi parce que j’aime ça!)

  7. C’est aussi une règle absolue chez moi, Doréus, rien de tout préparé. Il suffit de lire les étiquettes pour en être dégoûté.

    Même pour ma petite fille, depuis qu’elle a quitté le biberon, je prépare des purées de légumes avec des légumes et non avec de l’amidon parfumé aux légumes et quand je lui sers une sole, c’est 100% sole et non 12% avec on ne sait quoi autour.

    En tous cas, c’est une belle résolution. Il y a tant de célibataires qui se nourrissent n’importe comment.

  8. Je sais qu’il y a beaucoup de célibataires (des deux sexes) qui négligent leur nutrition… et qui se surprennent après d’avoir des ennuis de santé et le moral à plat.

    Je suis un homme de principes… parfois un peu trop, mais jusqu’ici, ça m’a apporté plus de positif que d’ennuis. Celui de la bonne nutrition, j’y déroge à l’occasion (qui ne le fait pas), mais ça fait partie du respect que je dois à mon propre corps. Il me reste à franchir la prochaine étape qui est de me remettre vraiment en forme. C’est nécessaire si je veux vraiment commencer à faire de la randonnée en montagne l’été prochain.

  9. « Le règlement précise que la fonction de cuisinier a été instituée parce que les monastères font offrande de nourriture à un grand nombre de moines. Cette responsabilité a de tout temps été confiée à des maîtres éclairés ayant l’esprit de la voie ou à des hommes éminents qui aspirent ardemment à la pensée d’éveil ».

    Dogen
    Instruction au cuisinier zen.

  10. Tant qu’à faire… Saint Benoît pensait également que la tâche de cuisinier était importante et source d’éveil spirituel. C’est la seule tâche, à part celle d’Abbé (supérieur d’un monastère) et de cellérier (procureur, administrateur) qui reçoive un chapitre particulier de sa Règle (chap. 35):

    Des semainiers de la cuisine
    Les frères doivent se servir les uns les autres à tour de rôle. Aucun, dès lors ne sera dispensé du service de la cuisine, excepté ceux qui ont mauvaise santé ou qui vaquent à d’importantes et urgentes occupations, car il est la source d’un grand mérite et d’un accroissement de charité. Aux faibles on procure des aides leur épargnant ainsi l’accablement; et, du reste, il convient de façon générale que les frères en charge soient secondés, d’après l’état de la communauté et la situation du lieu. Dans les grandes communautés, le cellérier est dispensé de la cuisine, et ceux-là pareillement qui vaquent, disions-nous, à des tâches absorbantes. Les autres feront leur service tour à tour dans le sentiment d’une charité mutuelle.
    Le samedi, en sortant de semaine, le cuisinier fera les nettoyages. Il lavera les linges dont les frères s’essuient les mains et les pieds
    [ce que les moines font avant chaque repas]. Avec le frère qui entre en fonction, celui qui sort de semaine lavera aussi les pieds de chacun. Il remettra, propres et en bon état, entre les mains du cellérier, les ustensiles de son office, et le cellérier les confiera à celui qui entre en semaine, prenant note de ce qu’il donne comme de ce qu’il reçoit.
    Une heure avant la réfection commune
    [le repas] les semainiers recevront chacun, en sus de la portion ordinaire, un coup à boire et du pain, afin qu’au moment du repas ils puissent servir leurs frères sans excès de fatigue et qu’ils n’aient pas sujet de murmurer. Toutefois, les jours de solennité, il leur faudra différer jusqu’après la Messe.
    Les semainiers, qui entrent en charge ou qui en sortent, se mettent à genoux devant tous à l’oratoire, le dimanche à l’issue des Matines, demandant que l’on prie pour eux. Celui qui sort de semaine dit le verset: «Benedictus es, Domine Deus, qui adjuvisti me et consolatus es me»
    [Béni sois-tu, Dieu, qui me soutiens et me consoles]. Quand il l’a dit trois fois, il reçoit la bénédiction et celui qui entre en semaine lui succède en disant: «Deus in adjutorium meum intende: Domine ad adjuvandum me festina» [Dieu, viens à mon aide; Seigneur, hâte-toi de me secourir] . Et le choeur ayant ainsi répété ce verset par trois fois, le semainier recevra la bénédiction et entrera en fonction.

  11. « Il ne s’agit pas simplement de préparer un repas mais d’exprimer une action éveillée dans l’acte de cuisiner ».

    « Cuisiner est une pratique totale, à la fois corporelle et mentale ».

    ….

    « Notre corps est un ingrédient, nos relations sont des ingrédients. Nos pensées, nos émotions et toutes nos actions sont des ingrédients. L’endroit où nous vivons, les feuilles qui tombent, la brume autour de la lune, la circulation dans les rues de la ville, le marché du coin, tous ces éléments sont nos ingrédients. Pour pouvoir voir les ingrédients étalés devant nous, nous devons ouvrir les yeux. D’habitude, nous créons nos propres limites, notre propre point de vue étriqué, notre propre monde, et nous ne regardons que là. Avec la pratique, notre territoire s’agrandit, et tous les objets du monde deviennent nos ingrédients ».

    idem

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